La Diabolique du Pontet ; un exercice périlleux

Partie civile devant la cour d’appel des Assises de Nîmes dans le double meurtre du Pontet perpétré aux frontières de l’horreur absolue par Jin Linotte, une femme de 44 ans d’origine coréenne, la stratégie à adopter s’est très vite révélée délicate.
Condamnée à 30 ans de réclusion en première instance pour ce double meurtre précédé d’actes de torture de et barbarie (les deux victimes, Didier Gérard et Bruno Declas, ayant été attachées et frappées à de multiples reprises à coups de couteau et de marteau plus de 60 heures durant avant de voir leur interminable agonie atteindre un tragique acmé dans les flammes d’un incendie criminel), Jin Linotte avait fait appel sur les conseils de son volubile avocat, Victor Gioia.
Celui-ci contestait à la fois les actes de torture et barbarie, arguant que sa cliente ne voulait pas leur infliger de sévices mais « simplement » mettre fin à leurs jours sans savoir comment faire, tout en plaidant l’abolition du discernement et donc sa non responsabilité pénale.
Sans ce double axe de défense, le travail d’une partie civile aurait été relativement simple : les faits n’étaient pas contestés, l’horreur, la monstruosité de l’acte (27 coups de couteau, des coups de marteau, des empoisonnements au White Spirit, au Destop, des tentatives d’étouffement et enfin une mort atroce dans les flammes de l’enfer pour Didier Gérard), l’accusée ne manifestait aucune forme de regret et ne présentait aucune circonstance atténuante, autant de charges accablantes. Il suffisait donc en théorie de rappeler les faits, de démontrer la barbarie de ceux-ci pour que la sentence soit confirmée et probablement aggravée par la Cour d’appel de Nîmes peu réputée pour sa mansuétude.
Certes, les diverses expertises psychologiques et psychiatriques faisaient état d’une personnalité sensitive à tendance paranoïaque et par extension d’une possible altération du discernement de Jin Linotte, mais en excluant toutes formes d’abolition de celui-ci. Mais entre altération et abolition, la frontière peut parfois être floue…
Il s’agissait donc de prouver l’existence d’actes de torture et de barbarie, donc de plonger dans l’horreur avec une sinistre énumération des atrocités commises pendant ces trois jours de violence absolue, tout en prenant garde à ce que le rappel de cette litanie d’abominations n’incite un juré populaire à conclure à la folie de Jin Linotte. Un exercice d’autant plus périlleux que la tactique de son conseil consistait à reconnaître et même amplifier la monstruosité des actes perpétrés pour plaider l’abolition du discernement tout en rejetant les accusations de barbarie et de torture.
Minimiser la volonté de Jin Linotte d’accomplir les pires atrocités c’était prendre le risque que les actes de torture et de barbarie ne soient pas retenus par la Cour, plonger trop loin dans l’horreur c’était offrir un boulevard à la défense pour démontrer qu’un tel déchaînement de violence n’avait pu être perpétré que par une femme atteinte d’une évidente folie, ce qui – je me dois de le préciser – n’était pas le cas, celle-ci n’ayant jamais perdu contact avec la réalité.
Avec un avocat général en demi-teinte pendant les débats, il fallait nous répartir les taches avec Me Franc, l’autre partie civile, pour définir en droit la caractérisation des actes de torture et barbarie, contribuer à les démontrer, appuyer les rapports d’expertise psychologique des spécialistes et plus globalement contrer en permanence la défense particulièrement virulente.
Au terme de trois jours d’audience durant lesquels il fallut une lutte de tous les instants pour des éléments pourtant aussi évidents que la présentation des scellés par exemple et une plaidoirie de combat, le verdict est enfin tombé après un délibéré d’autant plus interminable que Me Gioia avait plaidé l’irresponsabilité pénale avec une conviction et une emphase méditerranéennes. La peine prononcée en première instance a été aggravée : 30 ans de réclusion avec une peine de sureté des deux tiers ; une sanction accueillie sans un battement de cils par l’accusée !
La douleur des familles des deux victimes a été entendue, aussi bien aussi au civil qu’au pénal, récompense morale pour l’investissement d’une défense, même si notre confrère marseillais a, dès l’énoncé du verdict, évoqué un probable pourvoi en cassation et celui-ci purgé la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Il se pourrait bien que la justice n’en ait pas terminé avec la Diabolique du Pontet...