La justice n'est-elle qu'une affaire de droit ?
Il se pourrait bien que ce soit le dernier procès d'un nazi. Oskar Gröning, un homme âgé de 93 ans, comparait actuellement devant le TGI de Ludenbourg en Allemagne pour "complicité d'assassinat de 300 000 personnes."

Un chiffre qui correspond aux nombres de victimes au cours des mois durant lesquels le caporal SS Gröning a officié à Auschwitz, en charge de l'inventaire (et donc de la spoliation) des biens des déportés. Présenté de la sorte, il semble clair que l'ancien nazi mérite d'être jugé - malgré son âge avancé - et certainement condamné puisque les faits sont avérés et reconnus par l'accusé lui-même.
C'est d'ailleurs là que le bât blesse... Après son retour en Basse- Saxe, sa région natale, en 1947, l'ancien comptable d'Auschwitz alors âgé de 25 ans, a vécu une existence paisible devenant même juge honoraire dans les années 70. Comme de nombreux petits rouages de l'administration nazie des camps de la mort, le caporal Gröning a échappé aux mailles de la Justice qui, à l'époque, recherchait surtout les dignitaires du sinistre régime.
Oskar Gröning aurait donc pu vivre sereinement les dernières années de son existence sans une interview accordée en 2005 à l'historien britannique Laurence Rees, auteur du documentaire "Auschwitz, les nazis et la solution finale." Après 40 ans à taire son appartenance aux SS, le vieillard aurait pu continuer ainsi s'il n'avait été scandalisé par des propos négationnistes tenus par un de ses compatriotes !
Face à la caméra, Gröning affirme "il est de mon devoir aujourd'hui à mon âge de m'opposer à ceux qui disent qu'il ne s'est rien passé à Auschwitz [...] Je veux dire à ces gens-là : j'ai vu les fours crématoire, j'ai vu la fosse où l'on brulait les corps. Je veux que vous sachiez que les atrocités ont bien eu lieu. J'y étais."
Une déclaration qui aura pour effet immédiat - les délais judiciaires en Allemagne n'ont rien à envier aux nôtres - de lancer une procédure à son encontre, le conduisant aujourd'hui dans le box des accusés.
Les crimes de guerre sont imprescriptibles et le jeune Oskar Gröning était bel et bien un nazi officiant dans les sinistres camps de la mort. Il est donc indéniable qu'il doive être jugé et puni pour ces actes de barbarie.
Mais quel sort réserver au vieillard qui s'est levé pour s'opposer aux négationnistes et autres néo-nazis au risque de se retrouver sur le banc des accusés et peut-être derrière les barreaux ?
Une survivante de la Shoah, internée à Auschwitz, Eva Kor aujourd'hui âgée de 81 ans, a pris position en donnant à l'accusé une longue poignée de mains tout en le remerciant de parler des horreurs commises. Un geste fort toutefois condamné par d'autres victimes.

Signalons enfin qu'Oskar Gröning a reconnu avoir commis une "faute morale" tout en niant sa culpabilité, arguant pour sa défense de l'absence de "faute pénale."
Un homme complice de 300 000 meurtres doit être condamné, un homme qui s'élève contre le négationnisme à ses risques et périls doit être félicité, mais quel verdict prononcer lorsqu'il s'agit de la même personne 60 ans plus tard ?
Rendre la justice n'est pas qu'une simple affaire de droit...
Edit : Oskar Gröning a finalement été reconnu coupable et condamné à quatre ans de réclusion pour complicité dans le meurtre de 300 000 Juifs. Une peine légèrement supérieure aux 3 ans et demi requis mais bien en deçà des quinze ans encourus.